Négrophobie

Des événements dramatiques et largement médiatisés, aux États-Unis et en France, ont remis sur le devant de la scène médiatique le "racisme anti-noirs", appelé également négrophobie. Cette forme de racisme pèse sur le quotidien de toute une partie de la population.

1. Des préjugés aux discriminations racistes

Les populations noires subissent de fortes pratiques discriminatoires dans tous les domaines de la vie sociale, l’emploi, le logement, les loisirs…
Selon un rapport de recherche de 2018 sur les discriminations dans l’accès au logement en France, les personnes ayant des origines supposées africaines ont 32 % de chances de moins de visiter un logement à louer.

Au travail, l’ampleur des discriminations est largement sous-estimée car beaucoup de victimes renoncent à les faire reconnaître. Mais le Défenseur des Droits constate que celles « liées aux origines lors des recherches de stage ou d’emploi se produisent "souvent" ou "très souvent" pour plus de 60 % des répondants » et que « les personnes vues comme noires se déclarent le plus souvent discriminées du fait de leur couleur de peau ». Les personnes noires sont surreprésentées dans les métiers peu qualifiés, les femmes dans le "soin", les hommes dans les "métiers physiques". Dans une agence pour l’emploi une femme noire risque de se voir proposer spontanément des places de femmes de ménage.

En décembre 2019, les prud’hommes de Paris condamnent une "discrimination raciale systémique" pour le « système organisé de domination raciste" de 25 travailleurs maliens d’un chantier de construction.

L’école elle-même peut se révéler un espace d’assignation à une identité noire et africaine, à une origine supposée qui enferment les enfants dans des représentations stéréotypées. Les lycéens et étudiants noirs ont de vraies difficultés pour accéder à des stages ou plus tard à des postes de responsabilités.

Les noirs subissent le racisme primaire, à commencer par des insultes et des moqueries, faussement humoristiques. Des mots comme "bamboula" ou des images comme celle du célèbre Banania véhiculent une image paternaliste dévalorisante des personnes présentées comme de "grands enfants" condamnés à un rôle subalterne. Les joueurs de football noirs, même appréciés, continuent d’entendre des cris de singe ou de se voir lancer des bananes. Une femme noire qui accompagne des enfants au teint plus clair sera à priori prise pour la nounou…

Une vaste enquête, en 2018, de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE conclut que 30 % des personnes ayant la peau noire disent avoir été victimes de racisme et 24 % affirment avoir été contrôlées par la police durant les cinq années précédentes. Parmi celles-ci, 41 % estiment que le contrôle effectué représente un profilage racial. En France, le 21 février 1995, Ibrahim Ali, un Franco-Comorien de 17 ans, est tué à Marseille par un colleur d’affiches du Front national. En 2011, un groupe identitaire breton, Breiz Atao, conteste la victoire au concours de sonneurs bretons du champion de Bretagne biniou-bombarde : sa peau est noire. En 2015, la ministre de la Justice Christiane Taubira est comparée à un singe. En 2017, le directeur de Radio Courtoisie s’indigne de "la mélanisation de la France" et de "l’explosion de la population de race congoïde". En février 2018, Laetitia Avia députée de Paris est traitée de "truie noire" et menacée de mort. En août 2020, la députée de Paris, Danièle Obono est représentée en esclave par le journal "Valeurs actuelles".

2. Une longue histoire d’oppression

Le racisme subi par les populations noires est ancré dans une longue histoire.
Dès le milieu du 16e siècle, les Espagnols se tournent vers l’Afrique pour disposer d’une main d’œuvre non payée. Pendant plusieurs siècles, les négriers achètent des millions d’esclaves aux vendeurs africains et les exportent vers le "Nouveau Monde". Les révoltes parfois massives sont nombreuses. Une vision dévalorisée des populations noires s’installe. Le statut et la vie de l’esclave, bien-meuble, sont régis dans les colonies françaises par le "Code noir" de 1685. La traite négrière et l’esclavage enrichissent considérablement les puissances occidentales.

En France, au 18e siècle, Voltaire peut à la fois dénoncer l’esclavage et maintenir une image négative des Noirs. Des hommes comme l’abbé Grégoire créent la Société des Amis des Noirs. Après d’autres résistances et révoltes, la grande révolte des esclaves de Saint-Domingue contraint la Convention à décréter, en 1794, la première abolition de l’esclavage par la France. Rétabli par Bonaparte en 1802, il sera définitivement aboli, en 1848, sous l’impulsion de Victor Schoelcher.

Aux 18e et 19e siècles, des "scientifiques" classent les humains en races associant des caractéristiques psychologiques et morales à des traits physiologiques, en particulier la couleur de la peau. Le comte de Gobineau, classe le Noir au plus bas de l’échelle des "races" humaines. Ces caractérisations marquent pour longtemps les représentations collectives.
Dans la deuxième partie du 19° siècle les colonisateurs justifient leurs conquêtes et l’asservissement des Africains par une mission civilisatrice des "races supérieures" à l’égard des "races inférieures". Les "zoos humains" donnent à voir des scènes fantasmées de "sauvages" africains. La littérature et les expositions coloniales véhiculent les clichés. La hiérarchie raciale imprègne les manuels scolaires de la Troisième République.

Aux États-Unis, après l’abolition de l’esclavage en 1865, le système ségrégationniste s’installe dans les États sudistes. Cette ségrégation raciale s’appuie sur la violence, entretenue notamment par le Ku Klux Klan. Au cours des années 1960, la ségrégation officielle est abolie sous la pression du mouvement des droits civiques. Néanmoins les États-Unis restent empreints de "discriminations raciales systémiques". Ainsi, le taux des accusés noirs condamnés à mort est de 40 % supérieur au taux pour d’autres accusés. Les "bavures" meurtrières de policiers blancs envers les noirs se succèdent.

L’idéologie suprémaciste blanche retrouve un espace médiatique.
En 1948, pour contrer la décolonisation, les blancs d’Afrique du Sud mettent en place, la politique d’apartheid. La population est classée en "blancs" et "non-blancs" ("noirs", "métis", "colorés" confinés dans des ghettos.). À partir de 1961, l’ANC se lance dans la lutte armée. Mandela dirige cette lutte, passe 27 ans en prison, devient le symbole de ce combat contre le racisme et en 1991 président d’un pays libéré de l’apartheid.

Ces quelques données historiques n’épuisent pas l’explication du racisme envers les noirs. Il se manifeste aussi dans des pays qui n’ont pas de passé de domination directe des peuples noirs.

3. Lutter contre la négrophobie

Chaque situation sociale et historique produit des formes spécifiques de racisme, de conscience et de luttes antiracistes.

Au milieu du 20° siècle, pour répondre aux représentations négatives dont ils sont victimes, des militants antillais et africains comme Léopold Senghor et Aimé Césaire affirment être fiers d’être "nègres". Franz Fanon appelle à "décoloniser les esprits" tandis que Cheik Anta Diop publie "Nations nègres et culture". Ce retournement des stigmates, cette appropriation de la beauté, cette revendication d’une "identité noire" crée une conscience de groupe et permet des luttes d’émancipation.

La société américaine fait vivre ensemble, de façon antagonique, des populations dont les définitions et les histoires sont marquées par la ségrégation et le racisme. La France impériale, a opprimé des populations noires d’esclaves déportés aux Antilles et à la Réunion, où de profondes inégalités sociales liées aux différences chromatiques perdurent. À la fin du 20° siècle une population noire importante, originaire des Antilles ou d’Afrique, s’est installée en Métropole.

En France, en 2001, la loi Taubira reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité et l’obligation d’en faire activement mémoire. Au-delà de cette première initiative, le débat demeure sur les formes que peuvent prendre des réparations de ces crimes. La colonisation reste un impensé de ces débats malgré les déclarations d’E. Macron. Le combat contre les inégalités et injustices, le racisme et les discriminations hérités de la traite de l’esclavage et de la colonisation doit se poursuivre.

En 2007, Nicolas Sarkozy faisait, à Dakar, une déclaration tristement célèbre : "l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire". Déclaration stupide en soi, et totalement fausse. L’Afrique a connu des empires puissants et prospères. Cette histoire doit être enseignée pour détruire l’image de "peuples africains primitifs". Ce qui contient le germe du racisme, c’est l’essentialisation qui consiste à croire qu’il existe un "homme noir" aux caractéristiques spécifiques, uniformes et immuables.

Des affirmations identitaires, culturelles et politiques débouchent sur un ressentiment, voire des attitudes de rejet contre des personnes blanches. Ce mouvement connaît un développement chez des noirs américains et se manifeste parfois en France comme dans l’affaire des masques théâtraux d’Exhibit B en 2014 : des acteurs ou des auteurs qui ne sont pas noirs ne seraient pas habilités à exprimer les douleurs du racisme. Le métissage des cultures (habillement, cuisine, musique, danse…) constituerait des emprunts indus ou une trahison culturelle. Il convient au contraire de valoriser les apports essentiels des arts africains à la culture mondiale. La nécessité n’est pas une confrontation entre "Blancs" et "Noirs", entre "eux et "nous" mais la construction d’une commune humanité débarrassée du racisme.

Les humains sont confrontés à une histoire multiple et souvent douloureuse. Le MRAP appelle à construire une mémoire partagée amenant tous les membres de notre société, quelle que soit leur origine, à connaître et comprendre ce qu’ont été la traite négrière, l’esclavage et la colonisation, les dominations passées, leurs formes et conséquences actuelles. Les responsabilités historiques de la France doivent être reconnues, assumées et enseignées. Les systèmes de domination et d’exploitation actuels doivent être compris dans leur complexité et leur évolution, pour que la question des "races" ne soit plus une grille de lecture du monde.

Comme le souligne la Commission Nationale Consultative des Droits de L’Homme, "le combat contre le racisme envers la minorité noire nécessite une prise de conscience du phénomène par la société dans son ensemble, une décolonisation des esprits. Les progrès en la matière supposent un renversement des perspectives". La représentation des noirs dans les médias doit être repensée pour faire prendre conscience des biais et discriminations qui alimentent préjugés et stéréotypes. L’éducation, et notamment l’école, a un rôle primordial. Les programmes scolaires actuels condamnent le racisme mais peuvent comporter des biais racistes que ce soit dans le domaine de l’histoire, de la culture ou dans la description du monde actuel. L’universalisme que le MRAP revendique n’est pas celui qui prétend uniformiser l’humanité dans le cadre d’une culture française ou européenne considérée comme supérieure. Cette conception a justifié le colonialisme, en particulier en Afrique et contre "l’homme noir". Cet universalisme inclut la reconnaissance de la diversité des peuples et des cultures, la reconnaissance des valeurs positives comme des archaïsmes que toutes peuvent comporter. L’avenir de l’humanité est au métissage, aussi bien culturel que physique. Les concepts de Blancs et de Noirs ne devraient plus exister. Seul l’Homme compte.

Le 21 décembre 2020

Négrophobie